mercredi 23 mai 2018

Accepter l'instabilité numérique ?

"Le bug est consubstantiel à la matière calculée.
En d'autres termes, la matière numérique est nécessairement une matière qui achoppe, qui trébuche, qui chute. On dit d'ailleurs, lorsqu'il est victime d'un bug, qu'un serveur est down ou d'un site qu'il est "planté". Et ce n'est pas seulement vrai pour le concepteur. Une fois entré dans son cycle de vie et mis entre les mains d'un usager, un programme finit toujours par produire un bug. [...]
Ryan McGuire, http://gratisography.com

Il existe, dans la matière calculée, une tendance structurelle et imprévisible au bug : c'est là la versatilité du phénomène numérique. Certains programmes sont connus pour être plus stables que d'autres, par exemple les serveurs GNU / Linux. Mais, en définitive, quel que soit le constructeur ou le développeur, existera toujours, dans un produit informatisé, une tendance irréductible à l'instabilité - sans compter les anomalies issues d'actes de malveillance comme les virus ou les attaques. Cette instabilité fait partie de la culture ontophanique avec laquelle, depuis plusieurs décennies, nous avons appris à vivre. Habitués aux aléas fonctionnels de nos ordinateurs, nous savons désormais que "ça peut planter". C'est pourquoi nous effectuons régulièrement des sauvegardes. Vivre dans l'ontophanie numérique, c'est donc vivre aux côtés d'une matière instable, à laquelle nous confions tout mais sans jamais pouvoir lui faire totalement confiance. Et nous le savons. Nous avons appris à vivre avec l'instabilité de cette matière, parfois au prix de fantasmes et de craintes délirantes comme celle du prétendu "bug de l'an 2000".
En vérité, nous acceptons mal qu'une matière aussi puissante soit à la fois aussi fragile : plus les ordinateurs sont rapides et connectés en haut débit, plus nous voulons que la machine réponde immédiatement à nos attentes. Cela nous rend de plus en plus intolérants aux bugs alors même qu'ils font partie de la nature de la matière calculée. Il manque encore une éducation à la versatilité numérique."

Stéphane Vial, L'être et l'écran, 2013, PUF, pp. 214-216

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire